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Chroniques d'une histoire chaotique Episode 3 : "Tranche de fromage entre deux morceaux de pain"

  • Kaia Te
  • 16 déc. 2020
  • 7 min de lecture

Dernière mise à jour : 1 août 2023



Paris n’était vraiment pas la ville dans laquelle je rêvais de vivre. Je me suis toujours dit que je vivrais dans une ville sympa mais à taille humaine avec la campagne à quelques pas, le calme dans les rues, quelque part où je me sente vraiment chez moi, où je puisse être tranquille quand j’en ai envie, sans trafic, sans bruits. Un endroit où je puisse me reposer quand je suis KO après le taf, un lieu de vie qui me permette de me vider la tête quand j’en ai besoin. Mais… j’ai tout quitté pour elle.

Pourtant elle n’a pas insisté pour que je déménage, non, elle n’a pas joué à la relou en me faisant du chantage pour venir vivre avec elle. Non, je ne peux pas réellement lui en vouloir. C’est d’ailleurs ce côté-là qui m’attirait chez elle autant qu’il m’imsupportait. J’ai toujours eu l’impression qu’elle n’en avait rien à foutre de ce que j’entreprenais pour qu’on soit bien tous les deux. Qu'elle s'en fichait de tout ce pan de vie que je mettais de côté pour venir la rejoindre. J’avais l’impression de devoir constamment essayer de lui plaire pour ressentir un peu d’amour de sa part, pour ressentir qu’elle avait besoin de moi.

J’ai que 32 ans mais j'ai toujours été un peu décalé par rapport à une partie de mes potes qui se vantent souvent de fréquenter, grâce à leurs grandes gueules et à leurs relations, les meilleures boites de nuit à 4 étages, les clubs branchés sur les toits de la capitale. Eux même qui s’empressent de m’appeler le lendemain matin pour me raconter leurs soirées, leurs rencontres et leurs nuits « torrides » (ça reste un grand mot) : « Eh gars, tu sais qui j’ai ramené dans mon lit hier soir ? ». Cette question, je sais d'avance que le dimanche matin, quand j’allume mon iPhone, elle allait s'inscrire instantanément dans mes messages : « Elle envoie du lourd cette nana, j’étais dématé avec tout ce qu’on a bu mais je me souviens de tout ce qu’on a pu faire tous les deux : une pépite ! »

Je fais semblant de trouver leurs histoires passionnantes, bien que je les trouve parfois drôles mais j’ai toujours l’impression d’être à côté de la plaque et encore plus quand je sors avec eux. Je vous raconte le scénario habituel : je bois quelques verres de whisky et de vodka, histoire d’être dans le même délire, on se pose tous à une table, ils prennent une bouteille (quand j’entends le prix je suis à deux doigts de m’étouffer). Au départ, je suis bien, je m’amuse, je prends du bon temps, mais tout me rattrape très vite : l'heure qui suit je me fais chier comme un rat mort (j’ai jamais compris d’où venait cette expression et encore moins le sens de celle-ci, le rat est mort, il est mort quoi).

C’est vrai que depuis que je l’ai rencontrée, ça a pris une toute autre tournure, maintenant je préfère largement être dans le pieu de Lola plutôt que d'observer mes potes scruter tous les petits culs de la boite jusqu’à 4 heures. Bon, je vais pas vous mentir et dire que j’aime pas les belles choses, les belles formes et que je ne regarde pas autour de moi. J’allais dire une connerie, j'allais affirmer que c’est une attitude typiquement masculine alors qu'elle, elle m’a toujours dit : « C’est pas parce qu’on est au régime qu’on ne peut pas regarder le menu ». Et dire que je suis cuisinier…

En parlant de yeux indiscrets , un soir en zappant à la télé, je suis tombé sur un épisode de Confessions Intimes intitulé « Jalousie maladive » où une nana scrutait tous les faits et gestes de son mec. Elle en était arrivée à lui crier dans la rue « Baisse ton regard, baisse ton regard putain ! » Le gars était à la caisse d'un supermarché et n’osait même pas regarder la caissière de peur que sa copine s'imagine lui et elle dans les vestiaires du Leclerc en plein coït. En tout cas, avant ce tournant de vie, ce début d’épopée parisienne que je m'apprêterais à vivre avec elle quelques mois plus tard (sans encore le savoir), j’étais encore dans mon T3 à 2h de distance de Paname, dans ce quartier pas super reluisant où j’avais toutes mes petites habitudes de vieux célib.


« Lola ? tu viens chez moi ce week-end ? Au lieu de rester chez tes parents là, à attendre des réponses pour un taf à Paris.... Viens me rejoindre ! Comme ça tu t’ feras pas chier et on passera du temps ensemble ! » Je sentais que mes initiatives lui plaisaient. Elle n’a pas mis longtemps à répondre positivement à ma demande et à monter dans le premier train, le lendemain matin. J’avais tellement hâte de la voir. J’étais tombé sous son charme dès la première fois où je l’ai vu. Je me souviens être rentré dans mon appart en fin de journée, en plein hiver, ouvrir la porte de chez moi et la voir se lever et m’embrasser en me disant « Enchantée ! T’arrives du pôle Nord ou quoi ? ». J’avais un bonnet et une longue écharpe, on ne voyait presque pas mon visage. Je faisais enfin sa rencontre. C’était la copine d’un de mes très bons amis, enfin copine est un bien grand mot. Il logeait chez moi pendant quelques temps en attendant de trouver un logement. Il l’avait rencontrée grâce à des amis qu’on a tous les trois en commun. C’était qu’un plan cul pour lui, je le connaissais trop bien pour savoir qu’il s’en foutait et qu’elle n’était qu’un numéro dans son long fichier de conquêtes. Je savais déjà que j’aurais pu lui offrir tellement plus. La voir se plier à ses bons vouloirs me foutait dans une rogne noire que je tentais de dissimuler le plus discrètement possible. Je voulais pas que mes sentiments cachés derrière cet air fier qui me caractérisait, ne soient dévoilés. Quand il vivait chez moi pendant ces quelques mois, je m'étais contenté d’être juste un bon copain pour elle. On commençait à avoir quelques rituels quand il était au boulot comme aller se promener en vélo dans les rues aux alentours, aller manger un croissant et boire un chocolat chaud. Comme j’avais toutes mes journées de libre grâce à mon boulot de nuit, on pouvait passer du temps ensemble et apprendre à se connaitre. On allait faire les boutiques, je lui faisais découvrir les coins sympas de ma ville, on allait au parc se promener et jeter des morceaux de pain aux canards comme dans les films niaisards américains à l’eau de rose. On jouait souvent à Tekken 3 sur la Play dans le canap’ en mangeant des conneries sucrées comme des ados. Je la regardais tordre la manette de la Playstation, se lever, jouer debout jusqu’à me cacher l’écran et crier à tout va : « On recommence ! que j’te foute la pâtée encore une fois !!». Sans vouloir être trop prétentieux, elle ne me battait presque jamais ou alors c’était vraiment un coup de pot.

Je maudissais cette fin de journée quand j’la perdais. Ils se retrouvaient sur les coups de 19h à l'appart' et on mangeait tous les trois ensemble devant la télé. Je me sentais comme le morceau de gruyère entre les deux tranches de pain, c’est bon mais on peut s’en passer. Je maudissais encore plus le moment où on se disait « à demain », qu’elle partait dans sa chambre après m’avoir embrassé sur la joue tendrement en me souhaitant une bonne nuit. Pour en rajouter une couche, les murs de nos deux chambres étaient mitoyens. Le coup de grâce : le son de son souffle qui se faisait de plus en plus fort et qui trompait le silence de la nuit en laissant présupposer le plaisir de la chair qui s’opérait à un mètre de moi. Mes boules Kies étaient devenues mes meilleurs alliés, mon garde-fou le plus précieux. Putain. J’avais le béguin pour une femme conquise par mon meilleur pote et qui plus est, qui a des orgasmes dans le lit d’à côté. Chevaleresque comme phrase. Quelle poisse. J’essaie de comprendre les nanas, vraiment. Je vous vois déjà, les féministes averties devant ces lignes, à attendre impatiemment la suite, prêtes à me dézinguer. Sans langue de bois, vraiment aucune, vous pouvez parfois vous montrer sacrément naïves. Le dicton fuis-moi je te suis, suis-moi je te fuis n’est pas une légende. On dirait que les femmes aiment qu’on les ignore, qu’elles apprécient les hommes qui jouent de leur charme pour les refaire succomber dès qu’ils sentent qu’elles mettent de la distance. Ceux qui aiment leur rôle de Don Juan uniquement dans le but de les baiser quand ils sont en manque de sexe. J’ai pas dit « faire l’amour » car c’est toujours à nuancer. Après, je suis pas psychothérapeute, j’sais pas si c’est vrai pour toutes. Mais l’impossible attire souvent plus les humains que les relations qu’on sait déjà acquises d’avance. Aucun danger pour autant avec Lola car je sais au fond de moi qu’elle a le compas dans l’œil. Heureusement qu'il n'est pas resté longtemps chez moi.


9h07 : Son train arrive à la gare avec 15 minutes de retard, 15 minutes qui m’ont semblé être une éternité. Je suis crevé, j’ai fini le taf à 6 heures, je fais un détour chez moi pour prendre une douche, manger quelque chose pour bien démarrer la journée et nettoyer un peu le bazar dans mon appart avant qu’elle n’arrive et qu’elle foule le parquet. Elle n’a pas quitté mon esprit de toute la nuit. Depuis que c’est bel et bien terminé avec lui, qu'il ne vit plus avec moi, c’est la première fois que je la reçois toute seule chez moi. Je la vois de loin descendre de la rame avec difficulté. Elle n’a que ses deux mains pour porter sa valise, son sac à main, un sac plastique avec des chaussures dedans et son manteau gris qu’elle tenait sous son coude. Il fallait toujours qu’elle voyage avec une énorme valise même si la durée de son séjour n’était jamais de plus de deux semaines. A la regarder, on avait l’impression qu’elle partait pour un périple de quelques mois voire même, qu’elle déménageait. Je me disais à chaque fois que c’était peut-être le signe d’une envie dissimulée de passer des vacances prolongées en ma compagnie.





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