Ma thérapie: la danse.
- Kaia Te
- 15 mars 2020
- 9 min de lecture
Dernière mise à jour : 17 mars 2020
"Taisez-vous je mets mon morceau préféré!!!", "Papa tu me regardes hein?! Tu vas voir j'ai inventé une choré!". Lui devant son journal à siroter son café à 16 heures , un petit sourire en coin, obligé de se farcir sa fille pendant l'un des seuls moments de repos qu'il pouvait avoir de la journée. Heureusement qu'il adore le bon son. Je dansais tout le temps dans le salon, l'imposante chaîne Hi-Fi en mode lecture, le bruit sourd du CD posé à sa juste place et qui , absorbé par cette machine fantastique, résonnait dans toute la baraque quand je tournais le bouton du volume de manière franche et sans détours. "Calme toi sur le volume quand même Manon, on a des voisins..."
Le ridicule ne tue pas.
Sans surprises pour ceux que je connais, obligée de parler de danse quand je commence la rubrique "Culture".
Avant même de pouvoir parler, la capacité de danser est omniprésente chez l'enfant. Eh oui tous les enfants! Même toi qui pense danser comme un balai. (j'ai pas trouvé d'autre expression plus branchée). Il existait d'ailleurs, il y a quelques années, un concours mondial de la pire danse à Hambourg où des équipes s'affrontaient pour exécuter la chorégraphie la plus hideuse possible, ça a peut être permis à certains de dédramatiser . Les gamins bougent donc de façon innée : pour se déplacer, pour exprimer une pensée ou une sensation, parce que ça les amuse de faire des mouvements ou parce qu'ils sont joyeux. Quand ces mouvements deviennent structurés et effectués de manière consciente, cela devient: de la danse.

Petite, j'organisais des soirées-spectacles chez mes parents où j'invitais une dizaine de voisins à nos "représentations". J'allais dans le quartier leur donner une invitation que j'avais, bien évidemment, crée à la main, fière de mon projet. Je vendais le spectacle comme un spectacle moderne et éclectique (définition: "qui n'a pas de goût exclusif, ne se limite pas à une catégorie d'objets". Je vous rassure, je n'employais pas ce mot là à cette époque. En gros, je préparais des chorées sur de la musique orientale, du Rhythm'and Blues, du zouk... J'organisais des entraînements et un dernier filage avec ma copine quelques jours avant pour que l'on soit prêtes le jour J. Moins passionnée que moi, elle traînait parfois un peu la patte pour se motiver et suivre les pas que j'avais inventé. J'avais souvent la frousse qu'elle me lâche au dernier moment. Comme ses parents étaient invités à la maison pour le spectacle et qu'ils avaient déjà accepté l'invit', c'était la carotte suprême! Après chaque chorégraphie, on changeait de tenue, on devait faire vite pour monter les escaliers, enfiler nos costumes et redescendre en mode grandes artistes sérieuses, consciencieuses et surtout éviter de se prendre les pieds dans nos jupes longues. Ils venaient à la maison probablement plus pour les gâteaux, les verres de cidre et les discussions entre adultes, que pour admirer les talents cachés de leurs gamines. "Je vous demande votre attention s'il vous plait!!... S'il vous plait!!! Nous vous présentons notre deuxième chorégraphie!" .
Je regardais ma mère rapidos pour lui faire comprendre que c'était elle la maîtresse de cérémonie et qu'il fallait qu'elle m'aide à obtenir le silence, partiel soit-il. Mais je sentais bien, malgré son doux sourire, que je la coupais dans sa discussion forte intéressante avec Raymonde, au sujet des mégots de cigarettes jetés dans le jardin par des passants.
J'sais pas si c'était généreux ou radin mais ils nous donnaient quand même quelques pièces à la fin. J'ai jamais été très avare donc, rien que de voir le geste du bras tendu, ça me remplissait de joie et je gardais encore plus en moi cette intime conviction qu'il fallait que je continue à les emmerder encore une autre fois avec un prochain spectacle. Je trouvais ça super excitant de faire le tour de la tablée pour ramasser un peu de monnaie. Une de mes tantes toujours hyper positive me lançait: " Franchement c'était parfait! Tu pourrais un jour danser dans le Hit Machine!" (=émission de télé musicale française des années 90 que je regardais tous les samedis matins) Elle avait beaucoup d'aspirations pour moi (aucune ironie).

A 10 ans, je m'achetais mon premier album de zouk. A vrai dire, ma famille n'a jamais trop compris pour quelle raison j'aimais ce style de musique, j'avais déjà ce goût prononcé pour le déhanchement. "Je vous mets une musique vous allez adorer: Se pa pou dat d'Alan Cavé!" et je mettais le son à toute balle. Je demandais à mon père de m'acheter l'album de Diana Ross, il passait en boucle celui d'Otis Redding (l'un de mes innombrables chanteurs préférés). Je dansais sur "Sitting on the dock of the bay" et rêvais sur "These arms of mine", UB40 ( que ma mère prononçait tristement "UBquarante", INXS, David Bowie, les Rolling Stones et j'en passe.
Danser n'a pas été une révélation pour moi, comme on l'entend parfois pour d'autres personnes qui ont commencé plus tard à pratiquer. Ma mère a vite tilté quand j'étais toute petite qu'il fallait que je me dépense et que je danse. Peut-être que ça m'épuiserait. Peut- être aussi que j'allais leur foutre la paix à la maison. J'avais 3 ans et demi et je me souviens patienter longuement, le temps que le cours précédent se termine, en suçant mon pouce dans l'escalier qui menait à la salle de danse. Evelyne, ma professeur me faisait régulièrement la remarque "Manon ton pouce!" mais je n'étais qu'un bébé. J'ai commencé par les cours de danse classique comme tout petit qui débute, le cliché du tutu rose bien ajusté, du collant, des chaussons et du chignon que ma mère prenait soin de me faire même si j'avais toujours des cheveux rebelles qui dépassaient comme une gosse qui sort de la sieste.
"Danser c'est comme parler en silence, c'est dire pleins de choses sans dire un mot" Yuri Buenaventura, chanteur colombien de salsa
Aimer la danse, c'est aussi s'intéresser aux différents styles, c'est explorer l'histoire et la richesse culturelle de cet art qui a marqué les époques. (Dans cette rubrique, je mettrai à l'honneur certains styles de danse que j'affectionne particulièrement) On définit l'art comme une activité s'adressant délibérément aux sens, aux émotions, aux intuitions et à l'intellect: bingo!
On parle très souvent de l'importance du non verbal et du corps dans la danse, on peut aussi facilement faire un parallèle avec la séduction. Parfois il suffit juste d'un regard, nullement le besoin d'un long discours travaillé pour faire passer les messages. La danse permet aussi de se dépenser et de booster son organisme. Une neurobiologiste a d'ailleurs écrit un bouquin: "Faite danser votre cerveau" (édition Odile Jacob) qui explique que: " la coordination de mouvements complexes au rythme de la musique stimule nos connexions cérébrales, en même temps qu'elle préserve notre santé et renforce notre estime de nous-même".
La danse c'est donc un sport ou un art?
Et si c'était les deux? Je me suis souvent posée cette question car la danse mobilise tout le corps et toutes sortes d'aptitudes: équilibre, travail musculaire, expressivité, coordination, interaction avec un partenaire, respect du rythme, en gros toutes nos fonctions corporelles et cérébrales. Donc aux questions stupides telles que: "Ah tu fais de la danse...tu fais quoi comme sport sinon?" ... Je vous conseillerai d'éviter de gaspiller de la salive en argumentant. Il suffirait juste de proposer à cette aimable personne de venir suivre un cours et on verra ce qu'elle en pense en sortant de la salle, transpirante et épuisée. ;)
Show de la compagnie parisienne Just Us, dans laquelle j'ai dansé - scène Milan
Quand je regardais une émission de télé et qu'un chanteur prenait son micro, je matais essentiellement les danseurs qui gesticulaient derrière. Je me mettais devant la télé et tentais de reproduire leurs pas, au détriment de mes pauvres parents, qui, encore une fois, souhaitaient juste deux heures de divertissement tous les deux, peinards. En vacances d'été dans le sud de la France, à la fin de nos 15 jours, un spectacle honorait tous les "pseudos" artistes qui avaient répété durant la semaine. Quand mon frère faisait des spectacles de magie ou des sketchs loufoques devant un large public, composé de familles grillées par le soleil et les apéros tardifs, moi, je montais sur scène avec mon groupe de nanas sur un classique de Shanya Twain: "Man i feel like a woman", toutes avec nos chapeaux en mode texanes sexy et caractérielles.
Je me souviens m'être faite engueuler plusieurs fois: "Manon on est pas venus dans le Sud pour que tu restes enfermée dans une salle de spectacle! J'ai pas payé des vacances ici pour te voir t’entraîner tous les jours comme ça! Ral le bol!". Une des filles de la troupe, qui n'aimait pas spécialement la danse, mais que j'avais réussi à embarquer avec nous, m'avait clairement dit :"Si ça continue comme ça on arrête avec toi et ta chorée là, on a envie d'aller à la piscine et d'aller jouer! c'est chiant à la fin!" Oula, ça sentait le pâté , il était , en effet , grand temps que je "mette le Ola" et que je me calme, sinon j'allais voir le show me passer sous le nez.
Quand j'allais faire les courses à Leclerc, je dansais dans les rayons et j'amusais les passants, qui me regardaient faire mon show, sans que je ne prête attention à leurs regards ni à ce qu'ils pensaient. D'ailleurs, ça m'arrive encore de le faire quand je suis à la recherche d'un paquet de pâtes Panzani dans les supermarchés. Je peux vous dire que quand t'es une femme, même si ce n'est qu'un petit mouvement de salsa, les coup d’œil sont critiques. Tellement frustrant de voir qu'on n'a pas tous gardé ces côtés et plaisirs d'enfants.

Groupe de percussions Bejisao, La Réunion
"Tu dois danser comme s'il n'y a personne qui t'observe, aimer comme si tu n'as jamais été blessé, chanter comme s'il n'y a personne qui t'écoute, et vivre comme si c'était le paradis sur terre" William W.Purkey.
Je répétais à mes copines du collège, n'attendre qu'une chose: m'acheter ma robe à paillettes sexy pour aller danser en boite de nuit quand j'aurai l'âge. Je commençais à regarder les clips en boucle à la télé quand j'étais pré-ado, avec une pointe de jalousie:
"Rrr j'aimerais trop être à leur place, la scénographie, ce qu'elles dégagent, la confiance en soi, leur magnétisme...", "Manon, c'est qu'une passion ça, que tu pourras garder à côté quand un jour tu seras plus grande et que tu travailleras..." me répétait inlassablement certains de mes proches. Frustration maximale.
"C'est qu'une passion": propos tellement défaitiste. Si j'ai un conseil à donner aujourd'hui, même si je suis encore jeune et que je n'ai pas une grosse expérience dans la vie:
la vie est courte, les années passent tellement vite, autant tenter et aller au bout de nos rêves et possiblement, avoir des remords, plus tôt que des putains de regrets qui resteront nous hanter le reste de nos jours .
"Oh il aurait dû y aller, il aurait du le faire crois-moi, on a tous dit: ah c'est dommage, ah c'est dommage c'est p'tet la dernière fois (...) Il faut mieux vivre avec des remords qu'avec des regrets" Big Flo et Oli, Dommage
"Yasmine a une belle voix elle sait qu'elle est douée. Dans la tempête de sa vie, la musique est sa bouée. Face à sa mélodie, le monde est à ses pieds mais son père lui répétait "trouve-toi un vrai métier". Parfois elle s'imagine sous la lumière des projecteurs, sur la scène à recevoir les compliments et les jets de fleurs mais Yasmine est rouillée, coincée dans la routine, ça lui arrive de chanter quand elle travaille à l'usine" Big Flo et Oli, Dommage
J'ai toujours eu un peu de mal à me déplacer pour aller voir un spectacle de danse car je m'imagine sur la scène et pas devant. Je danse sur mon siège, je sens la musique qui parcourt toutes les fibres de mon corps. Parfois même, j'en viens à fermer les yeux et je m'imagine dans un autre environnement: si c'est de la salsa je me téléporte à Cuba, si c'est de la Kiz', en Angola, du Hip Hop, dans les rues de Brooklyn, et c'est tellement frustrant quand tu les ré-ouvres : tu es toujours là, devant cette scène, inactive. Cette sensation excitante, stressante qu'a chaque artiste avant une prestation, quand tu passes des heures à te préparer et que, pour la première fois, tu foules le parquet et que la lumière se pose enfin sur toi. Tu n'as alors plus d'autres alternatives, juste celle de montrer tout ce que tu as en toi et de tenter de faire plaisir aux yeux et au cœur des spectateurs.
J'ai toujours été quelqu'un d'assez discret ou/et plus ou moins réservé, qui n'aime pas forcément se mettre en avant, ce qui a d'ailleurs possiblement joué en ma défaveur car dans la danse comme dans d'autres pratiques, il faut se montrer, oser et là c'est pas dans un supermarché qu'on te demande de le faire.
Pour terminer cet article, j'ai besoin de crier haut et fort que danser c'est:
s'ouvrir aux autres et partager!
Apprendre à danser la danse bretonne à des antillais, apprendre à danser la capoeira à des irlandais, apprendre à danser la lambada à des norvégiens ou, apprendre le Maloya aux "zoreil" (métropolitains de la Réunion), du moins, juste avoir le plaisir de voir des personnes s’intéresser à une richesse culturelle différente de la leur: c'est là toute la splendeur de la danse et de la musique:
Rassembler des cultures différentes autour d'un art où tout le monde se ressemble.
Kaïa Te
Une p'tite derniere (big up Maman)
Moi non plus je savais pas que tu danser continuellement depuis l enfance
Tu danses trop bien surtout n arrête jamais belle blonde
Je ne savais pas que ta façon de chalouper est née lorsque tu étais une enfant. Tu dansais vraiment comme une fille !