La Réunion lé la!
- Kaia Te
- 18 oct. 2019
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 6 mars 2020
Notre voyage commence ici, en terre réunionnaise. Impossible pour moi de passer à côté de son histoire si particulière, souvent mal connue de tous. Adulée de tous les touristes, émerveillés par sa beauté, la Réunion rayonne aujourd'hui de par sa richesse culturelle, ses paysages qui offrent un dépaysement à couper le souffle, son climat exceptionnel, les milles saveurs de sa cuisine colorée, savoureuse et épicée, sa végétation luxuriante et sa population métissée.
Graff, Artiste Méo, Saint Pierre
"C'est où la Réunione??" me demandait mon amie équatorienne avec son accent adorablement séduisant, qui n'avait jamais entendu parler de l'île. Je parle ici d'une femme diamétralement opposée géographiquement à ce p'tit bout de terre mais, malgré les nombreuses campagnes de communication des agences touristiques, des compagnies aérienne (exceptée XL Airways et tous ses naufragés), des émissions découvertes qui sont diffusées sur nos chaines télévisées, on en entend toujours des bonnes, des vertes et des pas mûres: "Ah oui c'est pas loin du Sénégal non?", "Oui ça a l'air magnifique les paysages quand je vois des images à la télé! C'est pas loin de l'Afrique, c'est pas trop pauvre?", "Ah oui c'est chouette les Antilles!!", "Mais je pige pas... ton gars est français ou africain du coup, comme il est né là-bas?" ou encore le grall: "T'as pas fait ton visa pour rentrer en France tu vas être dans la merde, dépêche toi!" Et on est en 2020.
Les clichés, de toute part, sont persistants.

Au risque de paraître encore plus cliché, voici ci-dessous une carte de la Réunion sous format carte postale. (à vous de juger , pour ceux qui connaissent l’île, de ce qui révèle du fantasme touristique ou non)
Ce petite territoire de 862 300 habitants est composé: des cafres (Afrique de l'est), des malbars (Indiens tamouls, sud-est de l'Inde), des yabs (créoles blancs), des zoreils (métropolitains), des z'arabes (indiens musulmans, ouest de l'inde), des comoriens et mahorais et des malgaches.

Afin d'étayer mes propos le plus intelligemment possible et éviter de vous faire un recap' historique pompeux tout droit sorti de Wikipedia, je vous conseille de regarder un superbe documentaire sorti le 31 Août 2019 "Kissa Nou lé" réalisé par Sébastien Clain, qui raconte l'histoire de la Réunion bien souvent trop absente des bouquins. (2h certes mais agréable à regarder)
« Personne ne peut nier que la culture réunionnaise est née de différents apports de cultures et que le peuple réunionnais est né d'un brassage ethnique et culturel. Nous avons appris à vivre entre nous, et à former un peuple à partir de différentes composantes arrivées à différents épisodes à la Réunion". Mais cela ne s'est pas fait tout seul, et cela ne veut pas dire que notre peuple est "uni" dans sa différence. La société réunionnaise n'est pas une "réunion des peuples" comme on peut parfois l'entendre. Les personnes réduites en esclavage n'avaient pas demandé à participer à cette "réunion". Notre "vivre-ensemble" est le fruit d'une histoire violente et injuste, où des personnes de cultures différentes, de religions différentes, ont été obligées de vivre côte à côte, et face à l'adversité, se sont acceptées et ont crée des liens de solidarité" Sébastien Clain

La période de l'esclavage a profondément marqué l'histoire de La Réunion, comme celle des autres anciennes colonies françaises d'outre mer. Pour autant, il est difficile de dire quand, précisément, ont été acheminés les premiers esclaves. Quand la Réunion a été découverte, contrairement aux autres îles, c'était une île vierge. Le peuplement de l'île devient définitif en 1663, avec les premiers colons, accompagnés de Malgaches. (première mixité raciale)
Les mariages mixtes sont interdits par ordonnance en 1674 par le gouverneur et représentant de la Compagnie des Indes Orientales ( Jacob Blanquet de la Haye) à laquelle appartient Bourbon : premiers signes de la constitution d'une société esclavagiste.
Dès 1689, l'île compte 113 esclaves, sur 212 habitants.
En 1714, ils sont 534 sur 623 habitants.
La population servile est acheminée en masse dans l'île, en provenance de Madagascar, de la côte orientale africaine (par les comptoirs portugais au sud de Delgado) après l'obligation de cultiver les plants de café introduits par la Compagnie des Indes Orientales en 1715.
Le nombre de "Cafres" , débarqués aux Mascareignes (à partir de 1770) dépasse nettement les arrivées de main d'œuvre en provenance de Madagascar (on reproche aux Malgaches leur propension au "marronnage", c'est-à-dire à la fuite vers les hauteurs de l'île).
Les habitants de Bourbon ont fini par dénommer "cafres" tout esclave originaire de l'Afrique, qu'il provînt de la côte mozambicaine, ou du golfe d'Aden.
On pense que 115 000 esclaves auraient été introduits aux Mascareignes entre 1769 et 1810, alors que la traite était prohibée entre 1794 et 1802. Napoléon 1er, rétablit la traite et l'esclavage alors que la Révolution française les avait abolies.
La minorité des propriétaires terriens blancs cherche à diversifier les lieux de provenance des esclaves, afin de prévenir toute tentative de révolte au moins par la constitution d'un noyau ethnique important.
"A tout peuple conquis il faut une révolte" Napoléon Bonoparte
Des révoltes, il y en a eu:
-celle de 1799 à Sainte Rose, où 11 inculpés sont condamnés à mort
-celle de 1811 à St Leu: la répression est extrêmement brutale, car il faut décourager toute nouvelle initiative.
A la date de l'abolition de l'esclavage en 1848, le nombre d'esclaves était de 60 800, après avoir culminé à 69 983 en 1834. A partir de 1817, la traite est de nouveau interdite, ce qui n'empêche pas les arrivées clandestines: sans doute un peu plus de 19 000 esclaves (la démographie de la population servile étant en effet marquée par un double phénomène: d'une part, la surreprésentation masculine, d'autre part l'excédent des décès sur les naissances, d'environ 1500 personnes par an entre 1817 et 1830).

Au 19 ème siècle, après le cycle du café, celui de la canne à sucre prend petit à petit sa place sur l’île. Elle demande également une main d'œuvre importante: dès l'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises, plusieurs propriétaires recrutent des "engagés", on peut parler d'une nouvelle forme de "servilisme", en provenance des colonies britanniques indiennes. Ainsi, à la fin de l'année 1848, l'île compte parmi les immigrants engagés:
3372 Indiens, 78 Africains et 728 Chinois.
Le manque de main d’œuvre sera donc compensé par un appel massif aux travailleurs immigrés à qui s’impose:
le « contrat d’engagement »
pour une durée de 3 à 10 ans.
«L’abolition de l’esclavage en 1848 a eu comme conséquence la libération de 62000 esclaves et a été suivie du recrutement d’un nombre à peu près équivalent de travailleurs salariés engagés, en majorité venus d’Inde, rappelle le démographe Frédéric Sandron. Dès 1860, le nombre d’habitants est de 175 000.
Si beaucoup d’engagés originaires d’Inde, de Chine, de Madagascar, des Comores, etc., repartent chez eux dans la misère la plus totale, d’autres restent et donnent le visage multiculturel de la Réunion d'aujourd'hui.
A une malbaraise
Tes pieds aussi fins que tes mains, et ta hanche Est large à faire envie à la plus belle blanche ; A l'artiste pensif ton corps est doux et cher ; Tes grands yeux de velours sont plus noirs que ta chair.
Aux pays chauds et bleus où ton Dieu t'a fait naître, Ta tâche est d'allumer la pipe de ton maître, De pourvoir les flacons d'eaux fraîches et d'odeurs, De chasser loin du lit les moustiques rôdeurs, Et, dès que le matin fait chanter les platanes, D'acheter au bazar ananas et bananes. Tout le jour, où tu veux, tu mènes tes pieds nus Et fredonnes tout bas de vieux airs inconnus ; Et quand descend le soir au manteau d'écarlate, Tu poses doucement ton corps sur une natte, Où tes rêves flottants sont pleins de colibris, Et toujours, comme toi, gracieux et fleuris.
Pourquoi, l'heureuse enfant, veux-tu voir notre France, Ce pays trop peuplé que fauche la souffrance, Et, confiant ta vie aux bras forts des marins, Faire de grands adieux à tes chers tamarins ? Toi, vêtue à moitié de mousselines frêles, Frissonnante là-bas sous la neige et les grêles, Comme tu pleurerais tes loisirs doux et francs, Si le corset brutal emprisonnant tes flancs, Il te fallait glaner ton souper dans nos fanges Et vendre le parfum de tes charmes étranges, L'œil pensif, et suivant, dans nos sales brouillards, Des cocotiers absents les fantômes épars.
Charles Baudelaire, "Fleurs du mal".
Une autre transformation structurelle modifie le paysage réunionnais après l’abolition de l'esclavage: la plantation sucrière est l’objet d’une concentration foncière qui ruine les petits planteurs et enrichie les sucreries. Les petits planteurs survivent en devenant dépendants des gros propriétaires par le biais d’un système de métayage (mode d'exploitation agricole où on loue un domaine rural à un métayer qui le cultive pour une partie du produit). D’autres préfèrent rejoindre les territoires qui avant étaient occupés par les marrons puis les esclaves affranchis refusant l’engagisme. Ces « petits blancs» (la communauté YAB actuelle) s’installent comme leurs prédécesseurs sur des terres gagnées sur la forêt.
En 1950, le géographe Isnard Hildebert résume la répartition spatiale des richesses et de la couleur de la peau : « La population se compose d’une minorité de Blancs purs, les Créoles, où se recrutent la plupart des grands planteurs, des industriels et des fonctionnaires, et d’une multitude de métis et de gens de couleurs : employés, boutiquiers, ouvriers agricoles, colons, petits propriétaires, au sein desquelles des communautés ethniques ont gardé leur homogénéité, tels les Malabars et les « Arabes » de Bombay. »
Le caractère multiculturel et métissé de la société réunionnaise date des débuts du peuplement et ne fera que s’accentuer au fur et à mesure de l’histoire.
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