Chroniques d'une histoire chaotique Episode 1 "Le Maybelline noir dégouline"
- Kaia Te
- 27 mars 2020
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 1 août 2023

Elle s’est tirée. La garce. Je ne vais pas faire le mec surpris, dire que je ne le sentais pas venir, prétexter que tout allait bien dans nos vies. C’est pas comme si ces derniers mois, on vivait la plus exquise des périodes. L’apothéose sentimental, le béguin amoureux et le nœud à l’estomac des premiers mois se sont envolés, en conservant tout de même cet infime espoir que tout redevienne comme avant. Comme un nœud de marin, les cordes tressées méticuleusement, bien attachées avant de prendre la mer, sans dangers à l’horizon. Mais avec la tempête comme avec le temps, le nœud s’est abîmé au fur et à mesure, sans qu’on ne pense à agir avant pour le réparer et le maintenir en place, tous les deux, au bon moment.
Il s’est défait et peinait à résister. Ces cordes, malgré la ténacité de nos tous derniers efforts pour maintenir le cap et conserver la p’tite flamme de nos sentiments ont bien fini par lâcher.
Aujourd’hui, on ne répare plus on jette. Elle, elle a tout jeté. Et je me retrouve devant le studio comme un raté, à frapper inlassablement, en sachant bien qu’elle doit être derrière cette putain de porte à m’entendre brailler son prénom. Je l’imagine debout, la tête contre le mur de l’entrée, à deux centimètres de moi, à jubiler tristement, les yeux humides de toutes les larmes qu’elle a versées en cachette depuis des heures. Son corps épuisé de fatigue, sa bouille rosée et son mascara Maybelline noir dégoulinant et collant sous ses yeux verts larmoyant, à refaire dans son cerveau le chemin de ce pitoyable parcours amoureux. Ce parcours, on l’a désormais en commun, qu’on le veuille ou non et ça, jusqu’à la fin de nos interminables journées de jeunes adultes que l’on passera désormais séparément. Ces futures journées, incrustées d’un âcre parfum de regret qui mettra du temps à être gommé, en faveur de nouveaux amours retrouvés.
J’avais déjà vu cette scène un millier de fois dans les films à la télé mais je ne pensais pas me retrouver un jour à la place de ces connards, à tenter de réparer mes erreurs, inlassablement, en frappant à une porte marron abîmée par l’usure. Tout en respirant cette odeur de poulet frites qui émanait du restaurant du dessous, où elle aimait aller manger le midi et discuter avec le gérant quand elle avait du temps. Aujourd’hui, ces odeurs, ce bruit assourdissant des voitures qui circulent dans la rue à la sortie du travail et du métro parisien, me foutaient la nausée. Cette petite guinguette des Buttes Chaumont était censée apporter un peu d’âme dans le quartier. Bien que ce soit le cas, moi, tout ce que je voyais ce soir, c’était ces bobos du 19 -ème arrondissement qui rentraient du boulot, portant tout le stress accumulé de leur journée éreintante.
En minaudant des paroles insignifiantes, j’avais conscience que je me tirais d’encore plus prêt une balle dans les pattes (j’ai jamais eu d’aisance à communiquer, alors derrière une porte, je vous laisse imaginer…) :
« Laisse-moi juste récupérer mes affaires s’il te plaît et te parler… Après je m’en irai… Je sais que t’es là en plus putain! Réponds! »
Silence radio.
On faisait presque plus l'amour, alors que c’est tout ce qui maintenait notre couple. Les orgasmes multipliés partagés à nombreuses reprises au courant de la semaine, entre le lit et le canapé de notre studio parisien pour nains de jardin, de dix-sept mètres carré, désuet et humide, nous ont toujours offert l’opportunité facile de cacher la partie immergée de l’iceberg. Ces moments de plaisir faisaient en sorte de nous rendre la vie plus supportable et, ainsi, de ne pas avoir à penser à la réalité ou, tout au plus, de s’y confronter. Le sexe, réparateur d’un couple qui saigne à s’aimer.
Je lui ai toujours trouvé un courage indéniable à affronter les épreuves quotidiennes de la vie, à s’y préparer parfois et à agir en conséquence. Là, elle m’a encore surpris.
Elle a tapé fort.
Toute ressemblance avec une histoire déjà connue serait une pure coïncidence.
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